Dernière mise à jour: 11 avril 2024
Aux chantiers de la Baltique, après modernisation. Automne 1904
Avant 1914
Après 1914
Il s'agit du premier sous-marin de construction russe de la marine russe à avoir connu un service opérationnel.
En 1900, le Comité Technique Naval (MTK) de la flotte russe souhaite obtenir des informations sur l'évolution de la construction navale de part le monde. Elle mandate donc l'un de ses membres, l'Inspecteur principal Nikolaï Evlampievich Kuteynikov pour cette mission. Mais une autre tâche lui est également assignée: mettre à profit les visites des divers chantiers en Europe et en Amérique du nord pour s'informer sur la construction de sous-marins, et leur possibilité d'achat. Bien renseigné, le Comité Technique Naval suivait en effet avec attention la construction des Narval en France et les Holland aux États-Unis. La visite en France se montre décevante, mais les chantiers nord-américains font des propositions qui s'élèvent de 170 000 à 190 000 dollars l'unité (de l'ordre de 90 à 100 millions d'Euro actuels!). Ces prix sont jugés exorbitants.
Ce voyage a présenté néanmoins l'intérêt de recueillir de multiples informations sur la constructions de tels navires, que Kuteynikov pense être à la portée des chantiers russes. Le MTK décide alors de constituer une commission d'études sur le sujet. Les membres qui la composent, outre Kuteynikov, représentent l'élite de la construction navale russe à l'époque: Ivan Grigorievich Bubnov, ingénieur naval, entre autres responsable du bassin des carènes, Mikhail Nikolaïevich Beklemishev, officier spécialiste des mines et en électricité , avec des compétences en construction navale, et Ivan Semenovich Goryunov, l'adjoint principal de Bubnov.
La "Commission pour la construction de navires semi-submersibles" est officialisée le 19 décembre par le ministère de la Marine, et elle s'installe dans des locaux secrets, dépendant du bassin des carènes.
Un article du capitaine de vaisseau danois William Hovgaard traduit en septembre 1900 pour le Morskoy Sbornik va particulièrement retenir l'attention de la commission. Cet article préconise un tonnage supérieur à 100 tonnes, une différence supérieure à 10% de déplacement entre les différentes situations, un ballast principal situé dans les fonds du sous-marin et deux ballasts auxiliaires situés aux extrémités, tout comme des caisses d'assiette et de compensation ... La propulsion était assurée par une chaudière à vapeur légère pour la surface, et un moteur électrique alimenté par des batteries pour la navigation en plongée.
Après avoir obtenu les plans de l'officier danois, la Commission s'est mise au travail.
Compte tenu du faible niveau d'expérience des chantiers navals russes dans ce type de bâtiment, la Commission s'attache à réaliser la construction la plus simple possible, avec l'idée de rester dans l'enveloppe d'un budget très réduit. On notera par la suite tout de même une certaine sophistication dans la conception. Ces critères tendent aussi à réduire la puissance propulsive nécessaire.
La conception de l'époque était que le semi-submersible devait pouvoir s'approcher des bâtiments à attaquer pour lancer ses torpilles et prendre son immersion pour éviter toute attaque en retour des bâtiments de surface attaqués. L'immersion considérée était alors de 25 à 30 m, même si Bubnov a pensé aller jusqu'à 92 m.
La construction en est confiée aux chantiers de la Baltique le 9 juillet 1902.
La coque se divise en une partie centrale résistante à la pression, et de deux extrémités non résistantes qui incluent notamment les caisses des ballasts. Les caisses d'assiette avant et arrière sont placées dans ces extrémités. Le panneau d'accès est positionné sur un cylindre soudé qui dépasse de la partie centrale de la coque épaisse. Celle-ci, de section circulaire sur toute sa longueur, est rivetée et renforcée par 32 couples extérieurs en Z. Ces cadres sont formés de deux moitiés reliées par soudure à la forge et renforcés par une ceinture rivetée. Enfin, 8 longerons en T internes viennent compléter ces renforts. Aucune compartimentage n'est prévu. L'ensemble est recouvert de deux couches de bois de mélèze goudronné et coloré. Les superstructures sont construites en acier galvanisé. Une trappe de chargement de la batterie et autres matériels encombrants est installée sur l'avant.
Pour les manoeuvres, le sous-marin dispose d'un gouvernail à deux safrans placés l'un au dessus de l'autre. Trois paires de barres de plongée sont disposées symétriquement de part et d'autre de la coque. Aucun dispositif d'assistance n'est prévu, ce qui requiert une grande force physique pour la manoeuvre de ces barres. La prise de plongée et le retour en surface s'effectuait à l'aide de trois ballasts (avant dit " noir" , milieu, et arrière dit " rouge" ). Une particularité, dont la dangerosité se révélera par la suite, est la purge du ballast intérieur qui ne se fait que panneau ouvert, et qui impose que le kiosque tangente la surface de l'eau avant sa fermeture. Le ballast arrière était formé de 4 caisses différentes et permettait l'éventuel emport de 3360 kg d'essence. Les caisses de ballasts se remplissaient par elles-même à l'aide de vannes Kingston placées dans les fonds. Leur soufflage s'effectue à l'aide d'air HP commandé par des vannes intérieures. Ce système de soufflage incluait une boîte de commande, une pompe à piston à moteur électrique, placée à bâbord du moteur à essence et d'une petite pompe à main. Les caisses d'assiette avant (blanche) et arrière (bleue) sont reliées entre elles par des circuits d'eau et d'air, le transfert de liquide s'effectuant par les pompes d'assèchement. La ventilation interne s'effectuait par deux collecteurs, l'un pour l'air fais et l'autre pour l'air vicié , et dotés de ventilateurs électriques. Ces collecteurs disposaient de vannes de réglage de débit. La batterie disposait d'un circuit d'aération particulier. Un prise d'air de grand diamètre était installée à l'avant. L'air HP à 100 kg/cm² fourni par un compresseur électrique était stocké dans six bouteilles placées dans la cale, deux étant réservées à la mise en oeuvre des armes. Sa distribution s'effectuait par un boîtier de clapets situé sur l'arrière bâbord de la coque épaisse.
Le carburant était stocké dans 4 caisses du ballast arrière et dans deux caisses de part et d'autre du moteur. Le transfert s'effectuait par une pompe à main située dans la coque résistante.
Plusieurs possibilités ont été évoquées pour la propulsion. La propulsion électrique sous-marine fait appel à un moteur électrique de la firme française Sautter-Harlé de 120 Cv à 300 t/min fonctionnant en générateur en surface, pour la charge des batteries Fulmen d'une puissance totale de 5000 A/h. Ces batteries également françaises sont disposées sur des étagères spéciales sur l'avant de la coque résistante. Pour la navigation en surface, l'utilisation d'une chaudière à vapeur est rapidement écartée. L'utilisation d'un moteur Diesel est alors évoquée, mais aucun motoriste de l'époque n'est capable de fournir un moteur présentant les caractéristiques de masse et de puissance demandées. L'Aigrette française, premier sous-marin au monde qui ré pond à ce schéma ne sera prêt que trois ans plus tard. Un moteur à essence mis au point par M. Lutsk de la firme Daimler Benz de Stuttgart est adopté . Il développe une puissance de 300 Cv à 600 t/min. Selon la situation, surface ou plongée, ils entraînent l'arbre d'hélice via un réducteur d'un rapport de 1 à 4, le passage du mode surface au mode plongée demandant moins de 30 secondes, l'inverse nécessitant 4 minutes. La butée est installée sur l'arrière de la cloison. A travers le presse étoupe, l'arbre entraîne une hélice à quatre pales.
Le devis de masse est le suivant:
|
Prévu |
Réalisé |
||
Kg |
% |
kg |
% |
|
Coque épaisse |
24992 |
22,1 |
31216 |
27,7 |
Protection bois et métal de la coque |
1035 |
9,1 |
1224 |
10,9 |
Accessoires de coque |
6768 |
6 |
11472 |
10,2 |
Mécanismes |
15184 |
13,4 |
15808 |
14 |
Armement |
1320 |
1,2 |
|
|
Systèmes et aménagement |
1808 |
1,6 |
|
|
Accumulateurs |
24576 |
21,6 |
22912 |
20,4 |
Réserve de carburant |
5280 |
4,7 |
5280 |
4,7 |
Équipage et rechanges |
1952 |
1,7 |
1600 |
1,4 |
Réserve de flottabilité |
21056 |
18,6 |
12000 |
10,78 |
Total |
113288 |
100 |
112512 |
100 |
On peut remarquer que la réserve de flottabilité est fortement diminuée, du fait entre autres de la sous-estimation initiale du devis de masse de la coque, de ses protections et accessoires.
Deux appareils Dzerwiecki (Dzhevetskiy pour les Russes) pour deux torpilles Whitehead modèle 1898 de 381 mm sont placés sur l'arrière du kiosque, avec une provision pour deux autres appareils (ils ne seront jamais installés). Les torpilles sont stockées à l'extérieur de la coque, et leur lancement est commandé depuis l'intérieur de celle-ci. Ce dispositif permet de construire une coque plus simple.
Une seule unité est commandée aux chantiers de la Baltique. Le sous-marin est mis à l'eau en mai 1903 et ses essais sont achevés le 14 octobre de la même année. Son coût est de 388 000 roubles.
Les essais de 1903 révèlent une difficulté à conserver l' immersion en plongée à une vitesse supérieure à 5 noeuds, ce qui entraîne un accroissement de la taille des barres de plongée et une modification des superstructures. Le passage en immersion demande 15 minutes, temps ramené à 12 après l'installation de pompes pour réduire la pression d'air dans les ballasts au moment de leur purge.
Après ces essais, il est également devenu apparent qu'il fallait améliorer la visibilité en augmentant la hauteur des superstructures et en installant un deuxième périscope. La timonerie devait aussi être rehaussée. L'hélice originale est remplacée par une hélice à 4 pales orientables, dont la variation se commandait de l'intérieur de la coque. Des toilettes sous-marines sont aussi installées.
Après l'accident du 16 juin 1904, les chantiers de la Baltique ont procédé à la modification des superstructures, ont changé la batterie [l'ancienne est conservée en réserve, après nettoyage], le panneau du kiosque est doté d'un contrepoids pour faciliter sa manoeuvre.
La batterie gardée en réserve est de nouveau mise en place après l'explosion survenue en 1905 à Vladivostok.
La seule unité construite a servi tout d'abord en flotte du Pacifique, puis en flotte du Nord. Le transfert entre les flottes s'effectuait à l'aide d'une plate-forme ferroviaire spécialisée. Compte tenu de la fragilité de l'engin, et des conditions météorologiques de l'environnement dans lequel il devait opérer, son utilisation était limité aux périodes allant de mai à décembre. Il participe ainsi à de multiples missions autour de Vladivostok, sans jamais se trouver en présence de l'ennemi japonais.
Deux accidents ont émaillé la carrière de la seule unité construite. Ils sont détaillés dans la partie liste des unités. Ils mettent en exergue la nécessaire rigueur de l'entraînement des équipages, le panneau ayant été mal fermé lors d'une plongée. Panneau qui ne pouvait par ailleurs être complètement clos que lorsque la purge du ballast intérieur était pratiquement achevée. Ils pointent également sur la dangerosité des vapeurs d'essence, problème qui va perdurer jusqu'à ce que l'ensemble des moteurs à essence disparaisse de la propulsion de sous-marins. Cette dernière ne sera en fait acquise que lorsque des moteurs Diesel de puissance et robustesse suffisants seront produits. Le sous-marin étant utilisé à l'origine pour " accoutumer" un maximum de personnes à la navigation sous-marine, le premier accident va un temps rendre plus difficile le recrutement des hommes nécessaires au développement de la flotte sous-marine russe.
Les barres de plongée ne disposaient d'aucune assistance, ce qui rendait difficile leur manoeuvre, réservée à des hommes de grande force.
La faible valeur militaire, le manque criant de rechanges et les importants dommages subis lors d'une tempête à quai en flotte du Nord vont conduire à réformer le Delfin en 1917, pendant une période très trouble de l'histoire de la Russie. Le service de sauvetage de la flotte l'utilise comme ponton flottant pendant au moins un an, entre 1922 et 1932 (?). Une photo prise à Murmansk le montre échoué sur la grève. Sa destruction est menée par Rudmettallorg en 1932. Le commandant de la flotte rouge de Baltique avait émis l'idée en 1921 d'en faire un mémorial. Mais à l'époque de sa demande, le sous-marin avait été semble-t-il vendu à l'état de ferraille à une entreprise lettone qui ne l'a jamais récupéré. Il ne subsiste aujourd'hui qu'une superbe maquette en laiton et cuivre au Musée Naval Central de Saint Petersburg (http://navalmuseum.ru/index.php ).